C’est quoi ce dingue ?, par Christine Bourrelly

Participation au Prix littéraire de Au Féminin 2020. 
J’ai participé avec quatre nouvelles très courtes (thème au choix parmi quatre propositions) avec la contrainte de ne pas dépasser les 3000 caractères. Pour celle-ci j’ai choisi le thème Qu’est-ce que t’es belle !.
Vous pouvez voter pour cette nouvelle jusqu’au 15 novembre 2020 sur le site aufeminin.com (en vous connectant en haut à droite et en votant ensuite en bas de la page).

 

Il affiche le masque du parfait gourou. Yeux écarquillés, regard intense, sourire figé de bienveillance ; comme s’il voulait m’hypnotiser ou me transmettre sa force.
Ouh ouh ! C’est un rendez-vous Meetic pas mystique ! Reviens sur terre !
Il se tient droit, raide, les deux mains posées devant lui sur la table.
J’hésite… Je pars ? Il n’a encore rien dit.

J’étais déjà installée sur une table au fond du bar quand il est entré. Il a répondu par un grand sourire à mon signe de la main. Il ressemble à sa photo. Il a belle allure : élancé, cheveux bruns épais, tenue de sport sombre, look moderne. Il doit avoir l’âge annoncé, 35 ans. Je ne suis pas déçue.
Son pseudo c’est Silence_d’or. Le mien Oasis. On tchate depuis un mois. Il a été très à l’écoute, prévenant, curieux de moi. Il a un peu raconté son enfance en Bretagne, sa famille, son amour pour la nature, son job de technicien pour machines industrielles. Il m’a semblé doux, tendre. On a instauré une relation paisible ; j’avais hâte de le retrouver pour nos échanges de fin de journée, je n’avais pas envie de le quitter le soir pour me coucher. Il écrit bien, il est gentil spontanément, ça se repère vite les gens qui font semblant.
J’ai suggéré qu’on s’appelle, il a préféré qu’on se rencontre.

Je ne sais plus quoi penser.
Il ne dit toujours rien.
Alors, moi, je parle. Au début, je suis sympa.
« Je suis contente que tu sois là. T’as trouvé facilement ? J’aime bien ce quartier. J’habite pas très loin. Tu veux boire quelque chose ? Pourquoi tu dis rien ? »
Et puis je commence à m’impatienter.
« C’est un test ? Ou tu te tais juste pour le plaisir de me voir m’énerver ? »
Je m’agite sur mon siège.
Il penche la tête mais conserve son sourire béat. On dirait qu’il a vu la Vierge.
Ça devient vraiment gênant.

Je me lève.
Il m’attrape par le bras et m’oblige à me rasseoir.
Il me lâche, fouille dans sa sacoche et en sort un petit carnet et un bic.
Il écrit dessus quelques mots et me le tend.
Tu es si belle quand tu t’énerves.
C’est là que je comprends.
« Tu ne parles pas ? »
Il fait non de la tête.
« Mais tu m’entends. »
Il fait oui en souriant.

Oh… Mince alors… ça va pas être simple… je fais quoi ?
Dans l’immédiat, je n’ose pas le regarder. Il faut que je réfléchisse. Je ferme et je rouvre son petit carnet tout griffonné. Je tourne les pages machinalement vers l’arrière, je tombe sur un ancien mot écrit :
Vous pouvez le réchauffer s’il vous plait ?
Et sur la page
Merci pour ta présence.
Je continue à tourner les pages.
Tu es si belle, même quand tu te tais.
Et encore :
Oh ! Tu es malheureuse ! Tu es si jolie même quand tu es triste.
suivi de :
Je comprends, je ne t’en veux pas. Tu as été une belle rencontre.

Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Il n’en est pas à son coup d’essai…
Mais ça n’a pas l’air de marcher souvent.
À vrai dire, pour moi non plus…
J’éclate de rire.
La situation est saugrenue, mais je suis d’humeur joueuse et pas prête à renoncer.
« Tu m’apprends le langage des signes ? »

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