31 Oct Direction Koumac, par Christine Bourrelly
C’est long… C’est loin, Koumac. À presque cinq heures de Nouméa. Je suis partie à l’arrache, à la sortie du collège. J’ai récupéré Lila à la danse, elle m’avait demandé de préparer un gâteau, ce que je n’avais pas fait, mauvaise mère que je suis. Elle ne boudait déjà plus, et quand je lui ai rappelé qu’elle dormait chez son amie Sarah et qu’on se revoyait vendredi soir, elle m’a serrée dans ses bras : « Je t’aime ! Tu vas tellement me manquer ! T’es la plus belle des mamans ! »
À huit ans, elle peut encore le croire …
Je commence juste à me détendre.
Je souffle, grandes inspirations-expirations, je fais le vide… Je m’entends même penser… Ça, c’est signe que j’ai du temps, c’est quand même agréable.
Ça me fait plaisir de retrouver mes collègues du Nord. Pour une fois la formation a lieu au lycée professionnel de Koumac.
Bon, impossible de connecter Spotify à la voiture, alors, je compte les vaches. Je roule vite, car je sais que je vais finir de nuit et j’ai horreur de ça.
Au bout de la ligne droite, j’aperçois une silhouette sur le bord de la route. Quelqu’un qui marche. Il a le pouce levé. Un homme à la peau sombre, kanak certainement.
Je pourrais le prendre, ça me ferait un peu de compagnie. Ça dépendra de son allure, bien sûr. Moi qui dis toujours qu’il faut être prudente… ça me distrairait un peu.
Je ralentis pour me mettre à sa hauteur. Ni jeune ni vieux. Souriant. Il a une bonne tête. Des dreadlocks remontées sous un bonnet.
— Bonjour, vous allez jusqu’où ?
— Jusqu’à Koné.
— Ok, je peux vous avancer.
Koné, c’est encore à 1 h 30.
Il a pour tout bagage un sac informe. Il s’appelle André. Je le questionne et il me répond volontiers. Pas des grandes phrases, mais j’apprends qu’il rend visite à la famille à la tribu, qu’il habite La Foa, qu’il va aider aussi à de petits travaux. Son rire est doux et joyeux. Du coin de l’œil, je vois qu’il sort des fils électriques colorés d’un sac en plastique. Il commence à les tordre, peut-être à les tresser. Et en même temps, il scande :
Quand tu ouvres ta porte tu fais un geste vers l’autre
Tu lui offres un siège il reçoit ce cadeau
Des rencontres et des échanges naissent des moments précieux
Qui nous rendent plus grands, plus riches et mieux pensants
Tu accueilles ma différence, et j’aperçois qui tu es
Pour moi, c’est une chance, sois-en remerciée
Je suis sous le charme du poète-slameur, il a l’air de se laisser porter, et j’envie sa sérénité.
Quand il descend à Koné, j’ai la sensation d’avoir un nouvel ami. Il m’a donné son numéro de téléphone, et m’a dit que je serai toujours la bienvenue à la tribu.
Encore une grosse heure de route.
Mes pensées sont joyeuses. Je me promets de vivre d’autres escapades, d’autres prises de risque qui me feront me sentir vivante.
Sur le tableau de bord, j’ai posé le petit personnage rasta en fils électriques qu’André m’a donné en partant. Un genou posé sur le plastique chaud, il m’offre un bouquet de fleurs colorées.
Oui, là, tout de suite, je me sens riche et belle.
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