Sous contrôle, par Christine Bourrelly

Participation au Prix littéraire de Au Féminin 2020. 
J’ai participé avec quatre nouvelles très courtes (thème au choix parmi quatre propositions) avec la contrainte de ne pas dépasser les 3000 caractères. Pour celle-ci, j’ai choisi le thème Qu’est-ce que t’es belle !.
Vous pouvez voter pour cette nouvelle jusqu’au 15 novembre 2020 sur le site aufeminin.com (en vous connectant en haut à droite et en votant ensuite en bas de la page).

Ça lui a plu que je m’appelle Chafia, que je sois arabe, née à Casablanca. Il connaît le Maroc, il voudrait y retourner.
Lui, c’est Diego, un nom de star, le nom d’un soir ? Je ne sais pas, je m’en fiche à vrai dire. Il me dit que je suis jolie, désirable, et qu’il voudrait que je lui parle de mon pays. Je ne suis pas dupe, mais ça me plaît qu’il ait l’air de s’intéresser à moi.
Il danse très bien. Je me laisse guider sur un air de salsa, Un dos tres, il me lance loin de lui, me fait passer sous son bras, m’attire à lui brusquement. Collée contre lui, je l’entends respirer fort, « Tu es tellement belle, qu’est-ce que t’es belle ! » Il n’aura pas fallu longtemps pour que nos corps s’enflamment. On boit un verre, on rit, et on danse à nouveau… on danse, on danse. Des danses, des rires… des quarts d’heure comme je voudrais en vivre souvent. Là maintenant, j’aime la vie, et je me trouve belle, belle !
Faut que je m’en aille avant qu’il ne veuille aller plus loin. C’est vrai qu’il a l’air parti pour se déhancher toute la nuit. En tout cas, pas question de le ramener chez moi… à part le petit épicier d’en bas, il n’y trouverait rien d’exotique, et puis y a rien que j’aie envie de partager…
Je souris, je ris, je bois, pas trop, juste encore un peu, et je danse un dernier mambo.
Il est tard, il vaut mieux que je parte, je sais comment ça finirait. Quand chacun se rhabille et repart, moi, je me sens mal. Y en a qui vivent ça bien, pas moi. Ma solitude me gifle et me tord les boyaux. Je préfère éviter les déceptions, alors, je mène la danse !
C’est maintenant que je mets les voiles. Je prends la main d’une inconnue, une petite brunette, mignonne, qui a l’air de s’ennuyer, et je la tends à Diego. Il me regarde, étonné, je le rassure en lui disant que je reviens, et ils partent en riant dans une rumba à deux. Elle ou moi, pour lui, c’est pareil.
J’ai tenu les rênes pendant quelques heures, ça m’a fait du bien de prendre le contrôle. Et voilà, je file.
Dehors, je reprends mon souffle.
2 heures du matin, le métro est fermé, et je n’ai pas un rond pour un taxi. Allez, revoilà la vraie vie. L’escapade a été agréable, mais c’est fini. Annette, au chômage, déprimée, et fauchée. Annette qui danse bien et s’accorde un peu de romance… Je vais dormir quelques heures dans ma petite chambre de 12 m2. Peut-être que je ferai une place dans mes rêves à mon bel hidalgo, je pourrai même perdre ma chaussure, dans les rêves, tout est possible, et il me cherchera dans tout Paris, et on se mariera et on aura un enfant, ou deux, je suis pas sûre.
Ah ! Zut, alors ! Mon talon vient de se casser.
Je claudique un moment, mais finalement, j’enlève l’autre chaussure.
Derrière moi un rire m’agresse. Un type me suit. Il se rapproche. Me saisit le bras. Je hurle, je tape, je mords. Il étouffe mes cris et me plaque au sol.
Mon semblant de conte est déjà fini, place au cauchemar.
Je ne contrôle plus rien.
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