La joyeuse bande, par Christine Bourrelly

Participation au Prix littéraire de Au Féminin 2020. 
J’ai participé avec quatre nouvelles très courtes (thème au choix parmi quatre propositions) avec la contrainte de ne pas dépasser les 3000 caractères. Pour celle-ci, j’ai choisi le thème  Fais ce qu’il te plaît.
Vous pouvez noter pour cette nouvelle jusqu’au 15 novembre 2020 sur le site aufeminin.com (en vous connectant en haut à droite et en votant ensuite en bas de la page).

 

L’entretien ne se déroule pas comme je l’avais imaginé. Il y a là Rita, Marie-Gé, Jeannie et Kate. D’abord, elles me proposent un coca, une bière ou une tisane. J’hésite. Je dis OK pour la bière, et ça leur plaît ! « On est dans le ch’Nord quand même, et ce n’est pas l’heure pour un pisse-mémé ! » déclare Rita. « Dis, Jeannie, si tu lui offrais un ti-punch, plutôt. Elle a l’air marrante, la gamine. »
J’accepte, et Jeannie, l’Antillaise de l’équipe, attrape un rhum martiniquais, du sucre de canne et un citron vert. Dans cette cuisine-salle commune, autour d’une table couverte de motifs géométriques modernes et gais, ça sent bon la ratatouille, la vanille et la javel.
– Raconte-nous ? Tu viens d’où ? Tu fais des études ? T’as un amoureux ?
J’explique mon enfance en France et en Afrique au rythme des mutations de mon père militaire, mes études littéraires parce que je rêve d’être écrivain. « Écrivain ? Oh, tu as raison ! Dans la vie, faut faire ce qu’il te plaît ! Nous, on s’est trop emmerdées avec des tas de trucs qui ne nous ont pas plu. On n’a qu’une vie ! Faut qu’elle soit belle ! »
Leurs mines s’attristent quand je raconte mon année à Lille avec Mamyvonne, ma grand-mère, qui est partie dans son sommeil. Elles s’étonnent que je ne voie mes parents que deux fois par an, mais ils vivent à Limoges. Elles s’emballent quand je parle de Sami, moitié belge moitié congolais, en prépa pour devenir ingénieur, et qui joue dans un groupe de reggae. « Et il est gentil ? Et il est doux ? » « Oui, oui, il est tout ça, on réussit d’abord nos concours, et après on s’installe ensemble. »
Je leur fais comprendre que je suis assez indépendante, mais que j’aime les moments de convivialité, l’entraide et aussi me rendre utile.
Marie-Gé me décrit les rencontres du club-lecture. Kate mentionne les soirées cinéma, et le repas élargi aux familles et aux amis le dimanche midi. J’apprends qu’à tour de rôle il faut sortir les poubelles et arroser les plantes, qu’Hélène fait le ménage dans les communs chaque jour. Tout le monde s’entend bien.
La visite du bâtiment se fait au rythme de leurs éclats de rire, et tout me plaît ! Nous croisons les autres occupantes permanentes des lieux. Leurs couronnes de cheveux empruntent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Elles sont douze qui ont entre 68 et 87 ans. La dénommée Odile – la coiffeuse ! – connaît Rita depuis la maternelle. Elles ont choisi de vivre leur retraite toutes ensemble, après avoir quitté ou enterré leurs maris ; elles prennent soin les unes des autres. L’immeuble leur appartient, elles occupent les F2 et proposent les studios à faibles loyers à quatre jeunes femmes.

Rita me rappellera demain, elles doivent toutes se concerter, car elles ont vu d’autres candidates.
Mon Dieu ! Faites que ce soit oui ! Quel cadeau ce serait de vivre avec ces princesses dans leur palace ! À vrai dire, j’ai bon espoir… Les clins d’œil appuyés de ces sacrées mamies au moment de partir sonnent comme la promesse de lendemains joyeux !

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