14 Août Kinshasa, 9 septembre 1979, par Christine Bourrelly
Souvenir du Zaïre (aujourd’hui République Démocratique du Congo).
Kinshasa, Zaïre, 9 septembre 1979
Je franchis la porte de l’avion et j’entre dans un nouveau monde. Je laisse derrière moi une atmosphère sèche, climatisée et sécurisante. Le soleil m’éblouit et la moiteur ambiante me prend par surprise. Une couverture ouatée et humide m’enveloppe et s’infiltre jusque dans ma gorge et mes poumons.
Papa nous attend sur le tarmac. Il a pris son poste à l’ambassade il y a déjà quelques semaines, et a préparé notre arrivée. Les retrouvailles sont joyeuses. L’homme qui l’accompagne nous ouvre un passage dans une foule bruyante qui s’interpelle par des cris, de grands gestes et des claquements de langue. Je saisis quelques mots de français dans une langue inconnue. Les femmes aux boubous colorés portent des enfants sur leurs dos. L’odeur de ma transpiration se mêle aux effluves ambiants presque incommodants.
Les formalités sont rapides. Nous quittons l’aéroport, assises dans la benne d’un pick-up, sur nos cantines métalliques arrivées avec nous de France. Notre chien Balou est encore sonné de son voyage en soute. Nous quittons N’Djili, pour un trajet de trois quarts d’heure, direction « chez nous », dans une banlieue au sud-ouest de la capitale.
La quatre voies que nous empruntons trace une droite sans fin dans un paysage plat. Sur les bas-côtés, la terre est orange. À une trentaine de mètres de la route, les premières maisons basses en tôle laissent entrevoir un dédale infini d’habitations. Quelques boutiques s’annoncent, grâce à des enseignes colorées, aux slogans accrocheurs, peints à la main : l’épicerie Ets Toutsepaieicibas, le salon de coiffure Polyclinique coiffurière Salon-KS, le garage auto Prie et Crois, la location de meubles L’éternel est vivant, la bijouterie Mille feux, Pour mieux briller. Chaque nouveau nom me fait sourire. Le long des voies, de nombreuses femmes marchent avec de lourdes charges sur la tête. D’autres improvisent de petits marchés. Assises par groupes en bord de route, elles proposent leurs marchandises dans des bassines. Certaines ont dressé des pyramides avec des fruits ou des légumes que je ne connais pas.
Le trafic est anarchique, des véhicules en mauvais état se frôlent dangereusement. Les klaxons se déchaînent. D’imposants camions ouverts sur l’arrière transportent des grappes de voyageurs agglutinés ; je compte jusqu’à quarante personnes accrochées aux armatures qui peuvent tomber à tout moment. Ce sont des « fula-fula », nous expliquera plus tard Papa. Un mode de transport collectif local, bruyant des rires, des apostrophes et des cris des passagers pour qui cela semble être un jeu. Notre chauffeur adopte une conduite en zigzag pour éviter les piétons imprudents ainsi que les nids de poule de la route défoncée.
Nous sommes secouées. Je jette de temps à autre un coup d’œil à mes sœurs, elles aussi s’étonnent de tout. Je suis heureuse d’être là. J’accueille la nouveauté, tout en restant sur mes gardes. Parfois, je lâche d’une main le rebord de la benne pour répondre au salut d’un groupe d’enfants rieurs qui, du bord de la route poussiéreuse, nous lancent de joyeux : « Mundélé ! Mundélé ! ». Nous sommes ces Mundélé, les Blancs en lingala. C’est le jour de mes dix ans. Une nouvelle ville, Kinshasa, s’impose à moi. Une nouvelle vie aussi.
Talon
Posté le 23:08h, 14 aoûtC’est quand la suite du feuilleton ?
Christine Bourrelly
Posté le 07:22h, 15 aoûtEuh…Y a un peu de boulot pour ordonner ces souvenirs-là…
Gonzalvez
Posté le 06:52h, 15 aoûtUne nouvelle langue ? As-tu pu apprendre un peu du lingala ?
J’aurais adoré apprendre une langue complètement différente des européennes par curiosité sur l’approche de la vie à travers la langue, et le mode de pensée.
Quoique quand on est très jeune on ne pense pas à tout ça… 🙂
Belle nouvelle aux bruits, couleurs et odeurs des impressions vécues et ce qu’il t’en est resté.
Christine Bourrelly
Posté le 07:27h, 15 aoûtMerci Marie-France. Je n’ai pas appris le lingala. Le ZaÎre était une ancienne colonie belge et les gens parlaient français.
Mbote mingi = merci beaucoup »
Keba na yo, eh Petit ! « Attention à toi, Petit ! » (menace d’un adulte proférée à l’égard d’un enfant !)
Dutoit Sylvie
Posté le 07:36h, 15 aoûtPour la petite fille que tu étais, quelle aventure ! Extraordinaire récit. C’est sympa de partager ces souvenirs lointains.
Christine Bourrelly
Posté le 07:38h, 15 aoûtCoucou, ma Cops ! C’est la lecture de Petit Pays de Gaël Faye qui m’a replongée dans ces souvenirs. Je te recommande vraiment ce livre ! 😘😉