Une nouvelle écrite pour le Zodiac Challenge 2019.

C’est sûr, ils vont se déchirer pour les quelques meubles de collection qu’il me reste et mon appartement.

70 m² dans Paris, avec un mini balcon, vue sur la Seine et un petit bout de tour Eiffel. Forcément, ça a un peu de valeur.

Qu’ils se déchirent, très bien. Ils se sont disputés toute leur vie, je vais leur fournir un joli prétexte.

Ils vont me détester aussi.

Mais ça… Au moins, ils auront une bonne raison.

Ma collection d’objets de prestige du Pacifique partira au quai Branly, mes lingots aux Petites Sœurs des Pauvres. J’ai fait un don conséquent pour améliorer l’accueil des migrants et j’ai déjà fait cadeau de ma voiture au fils du voisin qui m’apporte régulièrement des macarons (il travaille chez Ladurée). Mon assurance vie a pour bénéficiaire un orphelinat au Cameroun. Je n’ai plus d’économies et j’en suis ravie !

J’ai exigé dans mon testament que mes cendres soient dispersées dans l’océan Pacifique depuis une pirogue à balancier au large de l’île de Mallicolo au Vanuatu. Par toute la famille réunie (mes deux enfants, avec conjoints et 7 petits enfants), dans l’année qui suit mon décès, tant qu’à faire ! Youpi ! Avec le prix des billets pour l’autre bout du monde, ils devront raboter un peu leur budget golf, décaler les stages linguistiques des enfants à New York et renoncer aux vacances de Noël aux Maldives. Peut-être comprendront-ils qu’on peut vivre autrement, à un autre rythme, avec d’autres valeurs, mais j’ai peu d’espoir.

Oh ! que c’est bon d’imaginer leur rage ! Je me sens tellement vivante !

Oui, je les emmerde tous, et je vais partir légère.

J’ai essayé d’améliorer nos relations. En vain. Ils mènent une course effrénée pour le pouvoir et l’argent. Beurk. Tout ce que j’ai essayé de leur inculquer a disparu avec les années. La faute aux lycées internationaux et à leurs clients pleins aux as ? À ces métiers qui rapportent trop ? À leurs conjoints, centrés sur eux, et leur réussite sociale ?

Ils pensent à moi au moment des anniversaires des enfants pour me suggérer de faire un chèque pour des cadeaux conséquents. Un brin paradoxal… Parce qu’ils ne se gênent pas pour me rappeler que les chèques, c’est dépassé…

Ils me font livrer des fleurs pour la fête des Mères alors qu’on habite à deux kilomètres avec Jeannie et à peine plus avec Pierre.

Bien sûr, ils n’ont rien vu venir. Ils me croient solide comme un roc, capable de vivre jusqu’à cent ans, et de leur pourrir leur retraite. C’est d’ailleurs la seule chose qui m’ait fait un peu hésiter… J’aurais pu leur rendre la vie difficile plus longtemps.

Mais, je fatigue un peu. J’ai relu tous les classiques de la littérature française et étrangère que je voulais relire. J’ai visité toutes les contrées qui m’attiraient, rencontré les peuples de tous les coins du globe. J’ai compris ce que je voulais du monde, et peut-être même un peu trop, et je crois que cela suffit. Et puis mon cœur s’essouffle. Je n’ai rien dit, mais je sens bien qu’il est fatigué.

J’hésite à maquiller mon suicide en accident, en me cognant la tête sur un coin de meuble, par exemple, mais je pourrai me rater et la théorie de l’accident leur ferait trop plaisir.

Non, c’est décidé.

Demain, j’ai rendez-vous. Ce sont les soixante ans de notre rencontre avec René. Quand il est mort, il y a douze ans, j’avais promis de ne pas trop tarder à le rejoindre. Eh bien, voilà ! Je suis prête.

D’abord, je prendrai un bain bien chaud avec quelques pétales de rose. Puis je me servirai un martini-glaçons dans mon fauteuil Louis XVI. Je le dégusterai et sur les dernières gorgées, j’avalerai les cachets pour le cœur que je n’ai pas pris ce dernier mois. Je m’allongerai alors sous mon édredon moelleux. Au matin, à son arrivée, la femme de ménage me trouvera dans mon lit, endormie, et à l’heure pour mon rendez-vous avec l’homme de ma vie.