Fenêtre ouverte, par Christine Bourrelly

Une nouvelle écrite pour le Zodiac Challenge 2020.

J’ai à peine quitté la maison qu’au premier rond-point, je m’énerve déjà. Un gros pick-up accélère alors que je vais passer. Polluant et arrogant. Un de plus. Tout ce que je déteste.

J’ai à peine dix minutes de trajet jusqu’à mon bureau, mais je me sens déjà tendue. À la radio, les coups de gueule des auditeurs m’exaspèrent. Les informations suivent. Rien de réjouissant. Je coupe le son.

Je vais arriver comme tous les jours à 7 h, pour donner l’exemple. Mes collaborateurs viendront me saluer l’un après l’autre, affichant leurs sourires hypocrites. Ensuite, ils iront déballer leurs histoires sans intérêt devant la machine à café. Mon premier rendez-vous n’aura lieu qu’à 8 heures avec un autre chef de service. On va se friter, c’est sûr.

Des démangeaisons dans la main droite me font lâcher le volant.

Un fil sort de mon majeur ! Un fil épais, plutôt une tige, rigide, qui ne cesse de grandir. Je cherche où me garer en urgence. Là, un arrêt de bus.

Mon doigt est en train de se transformer ! Il devient dur et sec ; mon bras s’affine lui-aussi. Ma main disparaît pour laisser place à une patte, qui de marron se colore en vert.

Au secours !

Il y a du monde autour de moi. Ils montent tous dans le bus qui vient de s’arrêter et qui klaxonne pour que je parte.

Je voudrais redémarrer, mais mon bras droit ne répond plus. Je passe la première avec la main gauche.

Cinquante mètres plus loin, un parking d’hypermarché. Je me gare le plus loin possible du magasin.

Suis-je en train de devenir folle ?

Ma main et mon bras gauches sont atteints à leur tour. Et mes pieds ne touchent plus les pédales !

Je jette un œil dans le rétroviseur.

Horreur ! Des antennes me sortent du front ; mes yeux rapetissent.

Je sens que mon abdomen se durcit.

Dans le dos, quelque chose pousse contre le dossier du siège. Par-dessus mon épaule, je vois comme des débuts d’ailes qui sortent.

Je hurle ! Mais je n’entends presque rien. Juste un faible crissement.

Je suis en train de me transformer en insecte ! Une sauterelle peut-être.

Qui puis-je appeler ? Mon mari ? Il ne me croirait pas et se réjouirait en riant que je ne devienne pas mante religieuse.

Qui ? En fait, personne. Je ne peux plus prendre mon téléphone. Je n’ai plus de mains. Je ne peux plus parler.

Autour de moi, tout devient très grand. Le pommeau de la boîte de vitesse est à quelques centimètres de ma tête. Comme un arbre géant. Je dois mesurer une dizaine de centimètres. Moi qui voulais changer de vie… je donnerais cher pour revenir à la case départ. Être à nouveau maîtresse de mes choix.

Je pense à la dernière sauterelle que j’ai observée. Une grosse sauterelle des cocotiers. Dévastatrice pour les plantes, elle mange tout. Si c’est en cela que je me suis transformée, les humains vont chercher à me tuer. Mais, au moins, je sais où trouver à manger. À Nouméa, il y a de la végétation partout.

Je frotte mes pattes avant l’une contre l’autre.

La fenêtre est ouverte.

Hop !

Je fais un bond vers ma nouvelle vie.

 

4 commentaires
  • Stéphanie Douyere
    Posté le 20:58h, 29 juin Répondre

    C’est enlevé, net et bien écrit. Bravo

    • Christine Bourrelly
      Posté le 13:28h, 30 juin Répondre

      Merci, Stéphanie 🙂 !

  • Lenoir
    Posté le 02:40h, 10 juillet Répondre

    Belle métamorphose. L’avantage de la sauterelle, c’est qu’elle peut observer du haut des cocotiers sans être vue.

    • Christine Bourrelly
      Posté le 09:45h, 10 juillet Répondre

      Suis bien d’accord avec toi ! 🙂

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