Du domaine des Murmures, par Carole Martinez

Roman de Caroline Martinez paru aux éditions Gallimard en 2011. Prix Goncourt des Lycéens en 2011.

« Sa fougue et son habileté aux tournois lui avaient si bien permis de se distinguer que, de l’avis de tous, même de mon père, son bon sang viril méritait de se perpétuer. Cette union était donc une aubaine. Une fois marié, il deviendrait seigneur à son tour : sa femme, aussi frêle, docile et muette fût-elle, lui conférerait une nécessaire épaisseur, celle des bâtisseurs de lignées. Il restait des places à prendre dans ce comté de Bourgogne ? Ma matrice le projetterait dans l’avenir, il labourerait ma chair comme il faut pour que sa gloire pût s’y enraciner, pour que sa descendance fût forêt, beaux garçons qui, prenant sa suite, porteraient son nom, abriteraient son sang, sa mémoire, sa gloire pour les siècles des siècles, sans compter la dot et l’alliance attachées à celle qu’on lui donnait jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Je ne serais qu’un pudique récipient que les grossesses successives finiraient par emporter. Et même si Lothaire mourait avant moi, mon veuvage ne me protégerait pas. On m’abandonnerait de nouveau au plus offrant en gage de quelque pacte.

Comment échapper à cette destinée sinon avec l’aide du Christ ?

Christ était puissant dans l’esprit des femmes de mon temps. Christ seul pouvait tenir les hommes en échec et leur arracher une vierge. Il semblait alors aux familles qu’elles concluaient avec le ciel une alliance nouvelle en cédant à Dieu un enfant qui prierait pour eux depuis le sommet des cieux ou la cellule d’un cloître.

Cette force de la prière, cette énergie spirituelle tenait alors l’équilibre du monde, nul n’en doutait.

Béguines, mystiques, recluses volontaires parvenaient parfois à mener leur entourage et gagnaient une liberté autrefois inconcevable. Une autonomie à laquelle presque aucune autre femme de ma caste ne pouvait prétendre.

Mais à quel prix ? »

Le mot de Scrib’ :

Peut-on décider de sa vie et échapper à l’emprise des hommes quand on est femme au XIIe siècle ? Je me suis prise à l’espérer en accompagnant Escarmonde, héroïne éprise de liberté, dans ses choix. À 15 ans, elle décide de vivre enfermée avec Dieu, plutôt que d’être mariée. L’auteur nous raconte un destin hors du commun dans un roman intense, poétique et violent à la fois, et étonnamment moderne.
2 commentaires
  • Dutoit Sylvie
    Posté le 14:59h, 24 juin Répondre

    Cela donne envie de lire le livre. N’est il pas trop dur pour les âmes sensibles ?

    • Christine Bourrelly
      Posté le 19:05h, 24 juin Répondre

      Quzelques passages un peu rudes, on est au XIIè siècle, quand même ! Mais je pense que tu trouveras passionnant le parcours de cette femme !

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