Rebecca, par Daphné du Maurier

Paru en 1938

Extrait du chapitre 5, traduction récente d’Anouk Neuhoff (2016)- Le Livre de Poche

« Heureusement qu’elle ne peut survenir deux fois, cette fièvre du premier amour. Car c’est bien une fièvre, et aussi un fardeau, quoi qu’en disent les poètes. On manque de bravoure, quand on a vingt et un ans. Les jours sont remplis de petites lâchetés, de petites craintes sans fondement, et on est si facilement blessé, si rapidement meurtri, qu’on s’écroule à la moindre remarque un peu acérée. Aujourd’hui que je suis protégée par l’armure de la maturité approchante, les infimes piqûres quotidiennes ne m’effleurent qu’à peine et sont vite oubliées, mais à cette époque, la moindre parole insouciante m’atteignait au plus profond de ma chair, devenant un stigmate enflammé, et le plus bref coup d’œil par-dessus une épaule s’imprimait en moi telle une marque au fer rouge. Une dénégation préfigurait le triple chant du coq, et un faux-fuyant s’apparentait au baiser de Judas. L’adulte peut mentir avec une conscience paisible et une façade joyeuse, mais au temps de la jeunesse, une tromperie, même minime, écorche la langue de celui qui l’énonce, le condamnant pour ainsi dire au supplice du fouet.

« Qu’est-ce que vous avez ce matin ? » Je la revois, calée contre ses oreillers, avec cette légère irritabilité de la malade pas vraiment souffrante qui a gardé trop longtemps le lit, et je me revois moi, prenant le paquet de cartes dans le tiroir de la table de chevet, sentant une rougeur coupable se répandre par plaques dans mon cou.

« J’ai joué au tennis avec le moniteur », répondis-je, aussitôt affolée par mon mensonge. En effet, que se passerait-il si, là-dessus, le moniteur en personne faisait irruption dans sa suite, cet après-midi même, pour se plaindre que je manquais mes leçons depuis maintenant plusieurs jours ? »

Le mot de Scrib’ :

La narratrice, héroïne apparemment insignifiante, et dont on ne connaît même pas le nom, partage ses doutes et ses espoirs au gré d’une intrigue au suspense grandissant.  Elle nous entraîne à la découverte de secrets troublants. C’est un roman d’une grande intensité, habilement servi par une plume qui manie adroitement passion et angoisse. Je l’ai relu après trente ans avec un plaisir intact. Tendre pensée pour ma grand-mère qui me l’avait conseillé.

2 commentaires
  • Sylviane C
    Posté le 18:20h, 13 juin Répondre

    Perso, je préfère « l’auberge de la Jamaïque »
    🇯🇲

    • Christine Bourrelly
      Posté le 18:24h, 13 juin Répondre

      Ok, j’ajoute à ma liste de lectures !

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